Il faudra au moins 30 ans pour dépolluer la Syrie
Les restes explosifs de guerre sur le territoire syrien atteignent une telle concentration due à l’intensité des bombardements, que les opérations de dépollution prendront au moins trente ans. Explications d’Emmanuel Sauvage, coordonnateur régional de Handicap International pour la lutte contre les mines et les restes explosifs.

© P. Houliat / Handicap International
Quelle est la situation de la Syrie au regard de la présence de restes explosifs de guerre ?
Emmanuel Sauvage : Je fais des missions humanitaires depuis 22 ans mais je n’avais jamais vu de destructions aussi massives qu’en Syrie. À Kobané, dans le Nord, c’est la quasi-totalité de la ville qui a été dévastée en à peine quatre mois d’affrontements et de bombardements. Cela fait cinq ans que ce conflit dure, avec un niveau de brutalité et de destruction à peine imaginable : les humanitaires peuvent accéder à Kobané qui se situe à la frontière turco-syrienne, mais nous manquons cruellement d’informations provenant de l’intérieur du territoire syrien, faute d’accès aux zones bombardées.
Les principales villes du pays (Damas, Homs, Alep) ont fait ou font encore l’objet d’affrontements entre l’armée gouvernementale et les différents groupes armés ; sans parler des bombardements de la coalition internationale menée par les Américains ou de l’aviation russe. Un pourcentage non négligeable de bombes n’explose pas à l’impact mais se fiche dans le sol ou les bâtiments. Il est de fait prévisible de trouver dans ces villes une forte densité de restes explosifs qui constitueront autant de menaces pour les civils dans des zones urbaines très peuplées.
De nombreuses zones rurales ont subi le même sort en raison de combats interminables impliquant une multitude de groupes armés. Il est donc probable que les campagnes syriennes ne seront jamais totalement dépolluées, à l’image du Nord et de l’Est de la France et de la Belgique où l’on retrouve encore chaque année des obus, témoins des combats des deux guerres mondiales.
Combien de temps faudrait-il pour nettoyer la Syrie des restes explosifs de la guerre, si le conflit s’arrêtait aujourd’hui ?
Emmanuel Sauvage : Les opérations de dépollution dépendent d’un arrêt des hostilités. La particularité du conflit repose dans l’utilisation d’engins explosifs improvisés aussi bien par les groupes armés que par les forces gouvernementales. Les charges associées à ces engins improvisés sont considérablement supérieures à celles utilisées pour les mines antipersonnel conventionnelles. Les équipements de protection des démineurs sont inutiles face à des charges si puissantes. Cela implique donc d’adapter les techniques de dépollution.
L’autre aspect qui va considérablement compliquer le travail de dépollution est l’existence d’un véritable « mille-feuilles explosif » dans les zones urbaines touchées par le conflit. Lors d’une étude que nous avons menée en avril 2015 à Kobané, nous avons observé une présence moyenne de 10 munitions par mètre carré dans le centre-ville. On fait face à une première couche de bombes à désamorcer, une couche de gravats sous laquelle se trouve une couche potentielle d’engins explosifs. Cela constitue des risques énormes pour la sécurité des démineurs et allongera donc considérablement les opérations de dépollution. Au printemps 2015, les équipes de Handicap International ont quand même retiré et détruit plus de dix tonnes d’engins non explosés des décombres. Preuve que ce travail permet de soustraire les habitants des régions affectées de la menace des restes de guerre.
« Une mobilisation sans précédent de la communauté internationale sera indispensable pour dépolluer la Syrie. Il faudra sans doute plus de 30 ans pour parvenir à éliminer les risques sur le territoire syrien. Ce travail de dépollution est essentiel pour permettre aux populations de reprendre possession de leurs villes, de leurs logements, de leurs champs... »
Les Syriens peuvent-ils se réinstaller chez eux dans ces conditions ?
Emmanuel Sauvage : Dès qu’il y a une accalmie du conflit, des familles déplacées essaient de rentrer chez elles. Les personnes qui se réinstallent sont souvent amenées à faire de la dépollution de survie, à enlever des restes explosifs de guerre dans leurs logements, à proximité, voire dans les champs, car elles doivent cultiver la terre pour assurer leur subsistance. Cette pratique est très dangereuse car ces personnes n’ont généralement pas été informées des risques posés par les restes explosifs de guerre et les engins explosifs improvisés.
Les équipes locales de dépollution des terres ne sont pas suffisamment nombreuses, formées, suivies et coordonnées pour garantir efficacement la sécurité des personnes qui se réinstallent. Le retour et la réinstallation des Syriens est donc d’abord conditionné à un règlement rapide du conflit. C’est un impératif pour garantir un accès sûr aux acteurs humanitaires, pour faciliter les opérations de dépollution ou plus simplement pour reconstruire les villes… Et plus le conflit s’enlise, moins leur reconstruction paraît réaliste. On ne pourra pas reconstruire sur des champs de ruines truffés de restes explosifs.
Quel est le moral des Syriens après plus de cinq années de conflit ?
Emmanuel Sauvage : On assiste à une dégradation dramatique des conditions de vie des réfugiés dans les pays limitrophes. Les civils restés en Syrie n’ont plus un accès régulier à des services essentiels comme la santé et l’éducation, faute de moyens et d’accès pour les acteurs humanitaires.
En plus des conséquences économiques et sociales de la guerre, il y aura des traumatismes à très long terme. Il faudra nécessairement les prendre en charge afin d’éviter que toute une génération de Syriens ne soit sacrifiée.

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